Interview: « Le journalisme, il ne faut pas s’y destiner sans passion ni envie. » David Abiker
[dropcap custom_class="wh"]D[/dropcap]avid Abiker est journaliste et chroniqueur radio chez Europe 1 & Canal +, il partage avec nous son parcours et sa vision du métier de journaliste. J'ai découvert ce journaliste lors de ses interviews vidéos sur la chaîne Youtube de Cadre Emplois. David Abiker a accepté de répondre aux questions de Mademoiselle Ergo dans cet entretien exclusif :

«MADEMOISELLE ERGO» – Pouvez-vous nous décrire vos différentes fonctions en tant qu'ancien DRH, journaliste ? Avez-vous préféré une fonction par rapport à une autre ?
David Abiker - Je n’ai pas été DRH et journaliste en même temps. J’ai travaillé en entreprise de 1993 à 2007. C’est en 2007 que j’ai franchi le pas pour entrer à France Info et démarrer une nouvelle vie professionnelle de journaliste et chroniqueur. Ceci dit, pour préparer cette transition, j’ai cumulé la chronique d’Arrêt sur Images une fois par semaine (France 5, 2001-2007) avec mes jobs successifs, c’était une façon de commencer. Je raconte cette vie de DRH dans cette vidéo.
Quel est votre cursus académique en supérieur ?
Je suis diplômé de Sciences Po Paris en 1991 après un bac éco à Marseille et j’ai un DEA de Sciences Politiques. J’ai aussi fait mon service militaire, je le précise car c’est rare de nos jours… Si c’était à refaire, je crois que j’aurais rêvé de faire du théâtre et d’entrer à la Comédie Française et de m’y confondre avec les murs au bout de 50 années à jouer les classiques. Mais on ne peut pas tout recommencer.
Qu'avez-vous fait à la sortie de vos études ?
J’ai fait mon service militaire comme officier dans l’artillerie, plus précisément dans un bureau… Au retour du service militaire, j’ai fait un long stage dans une entreprise de communication où je n’ai pas été très efficace. S’en est suivi un peu de chômage puis un job de responsable pédagogique à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris où j’ai également enseigné comme « maitre de conférence ».
Je vous ai découvert dans les vidéos "On revient vers vous" sur Youtube. Comment et pourquoi est né ce projet ?
C’est une rencontre avec Sylvia Di Pasquale rédactrice en chef de Cadremploi puis Pierre Abruzzini, le réalisateur. L’idée élaborée avec Sylvia, je la tiens au tout départ d’une discussion avec mon père qui fut DRH lui même... Interviewer des gens connus sur le fait de recruter ou d’être recruté. Choisir, être choisi, c’est un sujet vieux comme le monde. Mais cette petit websérie m’a conduit à interviewer des politiques de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant pas Thierry Ardisson et Delphine Ernote ou Stéphane Richard et Clara Gaymard, bref 200 personnes en 5 ans. Comme les vidéos sont toujours sur internet, on m’en parle toujours. C’est une sorte de bestiaire du recrutement, toutes les méthodes, toutes les erreurs, bref, il y a à boire et à manger là-dedans.
Qu'est-ce qui vous plait le plus dans l'écriture ?
On maîtrise à peu près ce que l’on dit sans que le propos soit parasité par l’image ou la voix. On peut aussi pratiquer la nuance et l’humour, ce qui est toujours compliqué dans les autres médias. Le grand nombre n’a pas le sens de l’humour. Il suffit de regarder Twitter, on croirait un asile de fous qui veulent sauver le monde ou diriger l’état. Sinon, j’ai écrit quelques livres, je crois que ce qui me plait dans l’écriture, la chronique, c’est de trouver l’idée qui me surprend moi-même. C’est rare, je ne vous le cache pas. Peut-être l’inspiration pour un livre reviendra-t-elle. J’ai en tête quelque chose sur l’adolescence de mes filles, une sorte de récit de guerre, qui s’appellerait 14-18, elles ont 14 et 18 ans et les voir grandir est une sorte de guerre, que je mène contre le temps et le désordre qu’elles sèment dans leur chambre, dans la cuisine, dans la salle de bain, dans toute la maison, un immense champs de ruines et de bataille sans cesses recommencée et que je perds, à chaque fois.
Quel regard avez-vous sur la société d'aujourd'hui avec les nouveaux médias et les réseaux sociaux ?
Je trouve qu’on accorde à ces réseaux sociaux une importance démesurée. Imaginez que Facebook, Twitter et le reste cessent de fonctionner. Que se passerait-t-il ? Rien. Quelques personnes au chômage, moins de connexions sur nos portables, moins de selfies et on ferait sans. Si internet s’arrête c’est autre chose. Mais si on venait à supprimer les réseaux sociaux, je crois que l’amitié n’en pâtirait pas. Peut-être qu’il serait à nouveau plus chronophage d’avoir une relation sexuelle avec son prochain ou sa prochaine. Les sites de rencontre ont beaucoup accéléré le rythme de ces affaires-là. Par ailleurs, dans ma partir, les réseaux sociaux ont considérablement accéléré la cadence de l’info et abaissé son niveau d’exigence. Avant, on commentait les petites phrases au rythme d’une par semaine, aujourd’hui c’est toutes les heures. Ajouter là-dessus les chaines d’infos et vous cavalez toute la journée après des chimères. Ceci dit, j’aime bien instagram qui est pour moi un petit théâtre où je raconte des mensonges, des histoires un peu folles. Je m’y déguise parfois, bref, j’y joue la comédie, c’est un défouloir, mais ca n’égale pas une bonne promenade dans le parc de Versailles avec mon chien.
Comment se passe une journée ou semaine type avec David Abiker ?
Je travaille, je promène mon chien, je travaille, je promène mon chien, je déjeune, je cuisine, je travaille et je promène mon chien. Je dors. Je me lave aussi.

Cette année je cumule l’émission de fin de semaine "C'est arrivé cette semaine-C’est arrivé demain" sur Europe1 (9h-10h, entièrement gratuite pour les auditeurs) avec une interview culturelle chaque soir sur Canal Plus. C’est un rythme infernal auquel je compte mettre fin dès le mois de juin. Donc je bosse tout le temps. La seule façon de faire des pauses c’est d’aller me promener. Ma femme m’accompagne, le chien aussi. Mes filles plus du tout. Elles préfèrent la compagnie de leurs amis qui sont bien plus jeunes et plus stylés que leurs parents. Du moins c’est ce qu’elles pensent. A leur âge, j’étais pareil, rester avec mes parents était un moment horriblement ennuyeux.

Qu'est-ce qui vous anime le plus dans toutes vos passions ?
Je n’ai aucune passion. Le mot passion n’est pas à utiliser à la légère. Les artistes ont une passion, les écrivains, les vrais en ont une. Je ne suis qu’un journaliste. Je crois que ce qui me plait encore dans ce métier c’est que je n’ai pas fini de l’apprendre. Après tout je ne l’exerce vraiment que depuis l’âge de 37 ans. J’aime l’idée d’un travail dont on voit rapidement le résultat, un texte, une interview ou une chronique. Et bien sûr la variété des sujets. Rien que la semaine dernière je suis passé des frappes en Syrie à une interview de Sting sans oublier ce savant italien qui a démontré que les plantes vertes ont une forme d’intelligence. C’est éclectique. Je fais 8 à 10 interview par semaines depuis 5 ans. Cela rend humble et curieux car j’interroge des gens immensément talentueux et intelligents contrairement à ce qui peut se raconter sur les réseaux sociaux hurleurs de la démocratie électronique dégénérée (j’ai bien cette dernière formule un peu réactionnaire).
Quels sont vos rêves ou projets futurs ?
Les vacances avant toute chose. Je ne suis pas français pour rien. Notre pays est une des premières destinations touristiques au monde, je crois que nous, salariés Français, devons en être digne en prenant tous les congés que la loi. Donc plus le temps passe, plus je soigne mes vacances avec professionnalisme. Je dois aussi avouer malgré un emploi du temps chargé cette année être de plus en plus paresseux. Les moments les plus heureux et les plus passionnant de cette année ont été des moments de solitude, des moments personnels, des ballades en montagnes avec mon chien en écoutant des livres audio, cuisiner pour ma fille cadette et ses copines qui viennent déjeuner le mardi ou aller au théâtre pour voir des comédiens talentueux et des mises en scène astucieuses. Il y a quelque chose qui me titille autour du travail manuel et du sens au travail. J’aime aussi poster des choses sur l’entreprise et le travail sur Linkedin où je commence à avoir beaucoup d’abonnés. Bref, j’espère travailler moins et mieux la saison prochaine. Peut-être aussi faire des choses en public, dans des salles, pas du one man show mais des interviews avec des gens et du public.
Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent se lancer ?
C’est toujours le même conseil. Trouvez un client si vous voulez monter une boite. La start-up économie a éloigné la jeune génération de la notion de client. Beaucoup s’imaginent qu’on créée une start-up et que ce sont les investisseurs qui vont vous salarier... C’est une vision tronquée de la vie professionnelle. Quand j’ai commencé, mon premier boss (dans le privé, après l’IEP) me disait trouvez des clients et facturez vite.
Pour ce qui est du journalisme, je crois qu’il faut vraiment avoir la vocation, il ne faut pas s’y destiner sans passion ni envie. Il faut soit être certain d’avoir des choses à partager ou à faire comprendre, soit avoir une extrême curiosité du monde. Se trouver des modèles aussi, c’est bien d’admirer des gens, d’avoir des références. Avoir aussi des amis qu’on respecte et qui vous inspirent et vous encouragent. Je conseille aussi à ceux qui se destinent à ce genre de projets d’avoir 20 ans. Ca aide à ne pas trop réfléchir et à passer à l’action. Enfin, ne pas écrire drop de bêtise sur Internet, aujourd’hui les recruteurs ont la mémoire longue.
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